I. Darrault-Harris

Des glossolalies comme utopies

Résumé

Notre communication se présente comme un hommage conjoint à Michel de Certeau, l’auteur, à notre connaissance de cette conception de la glossolalie comme utopie, et à Paolo Fabbri : leurs conversations à ce sujet ont été d’ailleurs publiées dans l’ouvrage Utopie vocali (Mimesis Edizioni, Milano-Udine, 2015).

Le phénomène de la glossolalie, désignée à l’origine comme la « langue des anges » s’inscrit donc dans l’univers religieux, voire, plus précisément, néo-testamentaire et chrétien (la Pentecôte en est l’épisode culminant). Et l’on sait que le rite orthodoxe comprend toujours  l’intervention glossolalisante d’un(e) fidèle, spontanément, le jour même de la Pentecôte, mimant la survenue de l’Esprit saint.

Mais le phénomène glossolalique a glissé de l’univers religieux au profane, ainsi dans les manifestations en littérature, et du normal au pathologique.

Et c’est bien au champ de la pathologie que nous voudrions nous attacher plus précisément, la glossolalie apparaissant chez certains sujets schizophrènes, relevant donc de la schizophasie.

Des exemples montreront cette impressionnante manifestation d’une langue entièrement néologique, avec ses permanences (invariants phonologique et syntaxique) et ses règles de formation de véritables unités-phrases. Un exemple exceptionnel sera pris, celui d’un patient québécois disposant de cinq langages glossolaliques (ce cas nous a été communiqué par le célèbre aphasiologue André Roch Lecours).

Le recours à la théorie des instances (J.-C. Coquet) permettra d’émettre une hypothèse sémiotique sur la survenue, chez le schizophrène, d’un tel phénomène, et cela à partir de ces ilôts limités dans le langage de ces patients que sont les mots néologiques (et récurrents, appelés « predilection words ») au sein du langage normal préservé, y compris dans sa fonction métalinguistique. C’est le processus de reprise de l’expérience, le passage de la phusis au logos (selon les termes mêmes de Coquet) qui serait profondément atteint, engendrant la production inintelligible d’une pure expérience dans l’incapacité de se faire logos.